Propos de l'IPSJM lors du Débat avec l'ETSC

                                                             LA VERITE VOUS RENDRA LIBRES

INTRODUCTION

           Au-delà des nombreuses et interminables définitions attribuées à la philosophie, il ressort au fond de chacune d’elles l’idée de la vérité. La philosophie  apparaît effectivement comme un discours ou une réflexion sur le réel dont le but ultime est la vérité. La recherche de cette vérité est sous-tendue par celle de la liberté. Vérité et Liberté sont donc deux notions si étroitement liées qu’il est difficile et presque impossible de parler de l’une sans faire référence à l’autre. Cette interdépendance des deux notions est d’autant plus forte que la vérité conditionne la liberté qui en est l’aboutissement nécessaire. Voilà pourquoi, dans l’Evangile de Saint Jean, Jésus déclare : « La Vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32b). La portée philosophique de cette affirmation ne peut qu’ouvrir à une réflexion profonde qui passe nécessairement par une analyse et un questionnement. En effet, si la vérité et la liberté s’appellent l’une et l’autre, est-ce pour autant que nous pouvons conclure sans réserve que la vérité nous rendra libre ? Autrement dit, la vérité nous rend-t-elle toujours libre, ne peut-elle dans une certaine mesure constituer une source d’aliénation ? La réponse à cette question exige préalablement une brève clarification des termes et une démonstration des liens indéfectibles entre vérité et liberté.

 

I- CLARIFICATION DES CONCEPTS

           Vérité et Liberté sont deux notions polysémiques et la liste de définitions est presqu’illimitée. Nous n’avons donc aucune prétention ici de revenir aux différentes approches, mais plutôt, nous nous contentons de prélever dans ce vaste répertoire définitionnel les éléments communs susceptibles de nous aider dans la construction de notre analyse.

1- La liberté

            Dans son sens le plus courant,  la liberté désigne « l’état de l’être qui n’obéit qu’à sa volonté, indépendamment de toute contrainte extérieure »[1]. Très souvent, la liberté se rapporte aussi à une exigence d’ordre rationnelle, c’est-à-dire que l’on est libre dans la mesure où on agit en connaissance de cause et sachant ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Ce qui implique la responsabilité. Nous pouvons dire en fin de compte que « le terme liberté fait penser négativement à l’absence de contrainte, positivement à un certain idéal d’autonomie, de maîtrise de soi, de possession de soi dans l’exercice de l’action »[2]. Comme nous pouvons le remarquer, la notion de liberté n’est pas facile à délimiter. La difficulté est d’autant plus grande que la liberté, selon Kant, est une réalité propre au noumène, c’est-à-dire, une réalité intelligible, un objet de la raison pure, c’est-à-dire inconnaissable en elle-même, mais qui peut néanmoins être postulée par la raison pratique à travers les phénomènes. C’est pourquoi, sans minimiser le cadre théorique, abstrait et conceptuel dans lequel elle est ancrée, la liberté dont il est question ici tient compte des conditions concrètes de la réalité humaine.

2- La vérité

           Comme la liberté, la vérité comporte une pluralité de définitions qui s’appliquent selon des niveaux et des domaines aussi différents que diversifiés. La vérité formelle appliquée en logique diffère de la vérité matérielle propre aux sciences positives ; de même, la vérité subjective ou relative défendue par les sophistes n’est pas la même que celle dite objective prônée par exemple par Platon ; ou encore de la vérité pratique ou pragmatique d’après William James  qui se distingue de la vérité absolue défendue par la religion. Ces différentes conceptions, loin de constituer des entités autonomes, ne  sont en réalité que  des niveaux d’appréhension de la vérité qui reste unique. C’est pourquoi, ces différentes approches ont en commun l’idée de conformité ou de correspondance. La conception aristotélico-thomiste de la vérité semble ainsi être celle qui fait le plus l’unanimité. Saint Thomas d’Aquin envisage la vérité sous le double aspect épistémologique et ontologique. Celle-ci est à la fois perfection de la connaissance (vérité logique) et propriété objective de l’être (vérité ontologique). La vérité désigne ainsi l’adéquation de la pensée avec son objet ou « conformité de l’intellect au réel »[3]. La vérité renvoie donc finalement et simplement à ce qui est, c’est-à-dire à l’être.

           La question ou le problème ici est celui de savoir si le fait d’agir, de vivre conformément à ce qui est peut nous libérer. Pour Jésus, cela ne fait certainement aucun doute, mais pour le philosophe, la question reste ouverte. Cependant avant de répondre à la précédente question, voyons à présent l’effectivité de l’interaction entre liberté et vérité.

 

ii – liberté et vérité : deux réalités complémentaires[4]

            De tout ce qui est dit plus haut, nous retenons que la liberté et la vérité sont tellement liées que nous ne pouvons pas les séparer. A ce niveau, nous disons que leur lien transcende même une simple valeur conceptuelle pour être une valeur existentielle au point où l’une ne peut exister sans l’autre. Finalement, nous nous rendons compte que chacune, se trouve à la base de l’autre.

 

1- Vérité, soubassement de la liberté.

            Lorsque nous définissions la liberté, nous avons dit que pour parvenir à la vérité, il fallait s’enraciner profondément dans la liberté car ce qui conditionne notre comportement d’être libre, volontaire, c’est avant tout la possession d’un jugement de valeur, réfléchi et efficace. En effet, pour Saint Thomas, le « Liberum judicium » est la prise en considération de ce que c’est la raison seule qui fonde la liberté[5].

            Dans cette perspective, la parole de Jésus : « Veritas Liberabit Vos » (Jn 8, 32) est une vérité profondément  philosophique dont le contenu ne peut jamais être épuisé.

            Affirmons avec tristesse que de nos jours, la liberté subit des contrecoups sérieux du seul fait que les gens ne comprennent pas exactement ce que ce terme signifie. Cette confusion n’est pas  caractéristique des seuls hommes sans instruction approfondie, mais cela concerne aussi des philosophes de mauvaise foi, qui, cherchant une certaine originalité, l’ont vidé de son sens effectif et réel. En effet, confondre liberté et libertinage, décision libre et caprice, c’est décidément méconnaître que la vraie liberté est d’abord intérieure, avant tout une qualité de l’âme qui est le propre de l’homme de raison qui – normalement – est toujours tendu vers la vérité qu’il recherche sans cesse. Bref, c’est la recta ratio qui fonde la vérité.

            Voilà pourquoi nous déclarons que le comportement libre est un choix raisonnable, animé et orienté par les valeurs que nous nous donnons ; c’est cela la pertinence de l’autonomie kantienne[6].

            Ainsi, logiquement, lorsque la liberté n’est pas guidée par le souci du vrai et du bien, elle se dégrade et se transforme monstrueusement en chaos intérieur et extérieur. Le chaos intérieur se caractérise par un comportement bestial qui pousse l’individu à ne vivre que selon ses passions et ses caprices. Un tel comportement asservit plutôt qu’il ne libère. Quant au chaos extérieur, c’est sur le plan social qu’il se manifeste. En effet, toute société humaine a horreur du désordre et de l’aventure. Voilà pourquoi la liberté vécue en dehors de la vérité dans une société conduit à la dictature qui est le contraire même d’une société en vue du bien commun.

            En réalité, l’autonomie intérieure et extérieure est avant tout un fruit provenant de la longue marche de l’esprit et de l’âme qui cherche à s’ouvrir aux valeurs. Ainsi pouvons-nous dire que l’homme libre c’est un homme au comportement réfléchi qui est préoccupé par le Bien. Ainsi compris, pour l’homme libre, le bien est facile et attrayant puisque son esprit a rencontré les vertus.

            En ce qui concerne la liberté sociale, seule la vérité doit la garantir car toute liberté sociale qui ne favorise pas la liberté intérieure est inévitablement vouée à l’échec. En effet, comme le pensaient les anciens Grecs (Platon, Aristote), le but de la politique est de rendre l’homme sage et vertueux et non pas riche matériellement. Et nous pensons qu’ils ont raison. La démagogie est toujours dangereuse pour la démocratie car c’est le règne de la dictature psychologique. Voilà pourquoi l’histoire nous montre clairement que dictature et démagogie sont toujours liées et font route commune.

 

2- La liberté est condition de la vérité.

            La liberté véritable s’enracine dans l’ouverture à la vérité. Il est même vrai que la vérité trouve sa racine dans la liberté. Sans la liberté intérieure et extérieure, nous ne pouvons pas chercher la vérité.

a- Il faut un bon climat de liberté intérieure

            Nous le savons tous que, que ce soit sur le plan des  sciences positives ou de la philosophie, pour atteindre la vérité, il faut un effort de réflexion continu et une grande fidélité au réel. Car la vérité ne s’obtient pas comme cela, purement, en s’imprimant simplement dans notre esprit ouvert, comme le pensait David Hume. Non, la vérité suppose donc une disponibilité intérieure, c’est-à-dire : « Je me décide librement à poursuivre la vérité ». Cette liberté intérieure essentielle, c’est celle qui est à l’origine de l’étonnement et de l’émerveillement de l’homme, source de toute connaissance humaine et qui constitue le propre unique de l’homme, à la différence de l’animal qui doit subir le cycle clos du déterminisme naturel[7].

            La liberté intérieure, avons-nous dit, est la base de toute quête du vrai, un vrai qui finalement nous libère de la servitude sous toutes ses formes. Par conséquent, la liberté intérieure suppose la diversité des disciplines car toutes tendent à la compréhension de l’univers et comme tel, aucune discipline n’a le droit d’empiéter sur les autres et ainsi, respecter la liberté de chacune. Aucune vérité particulière n’est habilitée (autorisée, qualifiée, permise, ...) à juger les autres. Cependant, il est clair que la liberté intérieure n’est effectivement possible que si la liberté sociale (extérieure) est garantie.

 

b- Pour la vérité, il faut un climat de liberté extérieure

            La société doit être un cadre propice pour la recherche et la quête de la vérité. Cela est très important à la fois pour l’évolution des sciences dites positives et pour le développement harmonieux de la pensée philosophique.

            Car en effet, comment pourrait se radicaliser la pensée lorsque le philosophe se trouve dans un Etat totalitaire où il faut penser comme le régime le veut ? Cela constitue une énorme entrave à la poursuite de la vérité. Car finalement, tout le monde baigne dans la fourberie et les flatteries mensongères. Bref, c’est une société de menteurs tous enfermés et détenus dans les geôles de la démagogie et de la turpitude. Dans ce contexte, on ne peut avoir de progrès puisque c’est lorsqu’il y a confrontation des idées que nous pouvons voir la lumière. Un dicton d’une sagesse inégalable ne précise – t –il pas que « du choc des idées jaillit la lumière » ? Dans une pareille société, la philosophie est simplement et purement morte car il n’y a pas de pensée authentique puisqu’il n’y a pas de place pour une prise de position personnelle et réfléchie.

            En résumé, vérité et liberté sont conceptuellement et existentiellement liées. La quête de la vérité est une tension permanente vers la liberté. Mais cette quête de la vérité va-t-elle de soi, n’est-elle pas au fond problématique ? 

 

III- LA VERITE NOUS REND-T-ELLE EFFECTIVEMENT LIBRES?

Au terme de la précédente analyse, nous avons pu nous rendre compte de la profondeur et de l’étroitesse  des rapports  entre la vérité et la liberté. Cependant, les faits dans la réalité quotidienne semblent déjouer toutes les évidences théoriques. D’où la nécessité d’aborder cette question sur le double plan phénoménologique et ontologique.

1-      De la vérité à la liberté : une démarche problématique

La vérité n’est pas une donnée en soi. C’est une quête permanente. Elle exige une marche longue et laborieuse à cause des contradictions et des obstacles qui rendent difficile et incertain l’accès à la liberté. La domination de l’opinion sociale à travers la dictature de la majorité et l’oppression du pouvoir étatique constituent des exemples qui attestent que la vérité, dans sa réalité pratique, est douloureuse et quelque fois source d’aliénation.

a- la domination de l’opinion sociale et dictature de la majorité

Très souvent, la quête de la vérité rend difficile l’exercice de la liberté à cause de la domination du "on", puissance anonyme et impersonnelle de l’opinion. L’opinion désigne effectivement la pensée dominante au sein d’un groupe ou d’une société ; laquelle pensée est enracinée et matérialisée par des comportements stéréotypés, des attitudes et des habitudes qui ne servent pas toujours la cause de la vérité. Dans l’opinion, la vérité se retrouve prisonnière de la vraisemblance, des probabilités, des incertitudes et même de la mauvaise foi. Celui qui entreprend donc de rechercher la vérité au sein d’une société dominée par l’opinion doit nécessairement s’attendre à une opposition pouvant aboutir à un isolement et même à un rejet. Etre condamné à vivre la solitude ou à vivre loin des siens constitue un drame intérieur qui rend problématique notre attachement à la vérité.  L’homme étant un animal politique, comme nous le précise Aristote, il est difficile de s’épanouir véritablement en dehors de la société à laquelle on appartient. A travers le Mythe de la caverne de Platon l’on peut observer ce drame du philosophe qui, revenu au milieu de ses frères, a du mal à les convaincre de sortir des ténèbres de l’ignorance vers la lumière de la vérité qu’il a contemplée.                                                      

La dictature du groupe est souvent très forte. Cela est perceptible au sein de tous les groupes,  des communautés de vie et même dans des regroupements politiques où le respect de l’idéologie menace autant la vérité que la liberté. En effet,  chaque parti politique observe une ligne de conduite fixée par une certaine idéologie. Tout membre d’un parti doit nécessairement se soumettre à la doctrine et aux méthodes imposées, même si celles-ci ne plaident pas toujours en faveur de la vérité. Ainsi, celui qui n’épouse pas l’idéologie du parti est sanctionné, exclu ou tout simplement éliminé. Tel est le cas du personnage de Hugo Baril dans Les mains sales de Jean-Paul Sartre. Les consciences sont volontairement aliénées et les personnes ne pensent que par et pour les intérêts du groupe. Contrairement au Mythe de la caverne de Platon, où le refus de la vérité provient d’une ignorance, dans la plupart de nos sociétés, c’est délibérément que l’on nie la vérité, soit pour préserver la logique d’une idéologie, soit pour protéger d’autres intérêts inavoués. Cette instrumentalisation de la vérité peut aussi être considérée comme une aliénation dans la mesure où la conscience et l’autonomie se diluent dans l’idéologie du groupe. Ainsi, toute vérité qui se met au service des intérêts des groupes ou des partis perd très souvent son contenu et se corrompt. 

Le rôle du philosophe étant de rechercher la vérité et surtout d’y conduire les autres, il devient très difficile de vivre à l’écart ; ce d’autant plus que « l’homme n’est homme que parmi les hommes » comme nous le rappelle Fichte qui  par ailleurs, précise à la suite de plusieurs autres philosophes que la liberté humaine ne trouve son plein épanouissement qu’au sein d’une société organisée c’est-à-dire dans un Etat. Cependant, jusqu’où peut être crédible et effective une liberté garantie par un Etat lorsque nous savons que l’idéal exalté dans les constitutions et les lois n’a, dans la plupart des cas, rien à voir avec la réalité ?

b- L’oppression de la société à travers le pouvoir étatique

L’Etat qui est sensé protéger les individus d’un certain nombre d’abus apparaît très souvent comme une des nombreuses menaces contre la vérité. La vérité sur le plan politique est difficilement conciliable avec la liberté. Il suffit d’un regard sur nombre d’Etats africains, occidentaux ou orientaux pour se rendre compte du fait que l’élite dirigeante ne rend pas toujours compte de la vérité. La vérité est si redoutée qu’elle est combattue par tous les moyens, surtout lorsque celle-ci est susceptible de compromettre les intérêts des gouvernants. Les dirigeants, ayant en leur possession tous les pouvoirs, n’hésitent pas à s’en servir pour pourchasser tous ceux qui essayent d’œuvrer en faveur de la vérité. Les media sont un exemple type qui illustre cette aliénation qui s’effectue à un double niveau. D’un côté, pendant que les medias publics qui sont au service des intérêts du pouvoir en place rendent difficilement compte de la vérité des faits, de l’autre côté, c’est la répression et l’oppression extrêmes contre les medias privés qui osent présenter les faits dans leur authenticité. Nonobstant l’instrumentalisation et l’exagération faites dans certains medias privés, le plus grand nombre est souvent victime de la censure arbitraire et de la répression. La vérité se retrouve prise en otage par le pouvoir en place prêt à tout pour dissimuler ses basses manœuvres. Ainsi, un journaliste qui ne peut plus rapporter ouvertement des faits dans leur exactitude sous peine de menaces, d’emprisonnement ou d’exécution, n’est plus libre. De même des leaders politiques opposés aux pouvoirs en place font toujours les frais de leur entêtement à dire la vérité. C’est pourquoi, beaucoup, pour avoir la vie sauve sont réduits au silence ou contraints à l’exil. Face à ces menaces extérieures, la recherche de la vérité devient dangereuse et la liberté véritable disparaît.  Dès lors l’idée selon laquelle la vérité rendra libre devient problématique et sérieusement compromise.

Si donc, au lieu de nous conduire à une libération, devient plutôt un motif de condamnation et même une raison d’être mis à mort (Jésus  en  ayant lui-même fait l’expérience), doit-on alors considérer les propos de Jésus comme des simples discours, ou alors faut-il penser que la liberté dont il parle relève d’une  autre dimension de l’être ?

 

 

 

2- Liberté : aboutissement de la vérité

Si nous revenons à la définition de la liberté énoncée au début de notre propos, il apparaît clairement que la liberté est avant tout un état intérieur. Même si elle se concrétise dans l’action, la liberté trouve son fondement dans un idéal moral et rationnel. La vérité dont parle Jésus est à considérer dans son sens absolu.

a-      La liberté : état  d’esprit

La liberté étant un objet de la raison, elle ne peut être ni aliénée, ni séquestrée dans une quelconque prison, puisqu’elle est un état d’esprit et non un conditionnement matériel. Pour les stoïciens, la liberté désigne « la puissance d’agir par soi-même au niveau de la pensée et du jugement »[8]. La liberté est une réalité propre à l’intelligence et est liée à la volonté qui relève de la conscience humaine. Descartes définit la volonté comme une faculté infinie par laquelle l’homme est à la ressemblance de Dieu. La volonté est si puissante qu’aucune contrainte extérieure ne peut la stopper. « C’est-à-dire qu’autant que notre volonté se soit déterminée, elle est toujours libre »[9]. C’est dans ce sens que l’on comprend aisément qu’un homme enchaîné dans une prison est aussi libre que celui qui en est hors ; même, l’on peut être prisonnier dans sa conscience, dans son esprit sans être emprisonné physiquement.

La liberté est donc plus un état d’esprit qu’une réalité matérielle. Quant à la vérité, jusqu’à présent, elle n’a été décrite que sous un aspect phénoménologique. C’est pourquoi il faut l’appréhender dans une perspective purement ontologique.

 

b- La valeur ontologique de la vérité

La vérité est un attribut transcendantal de l’être. L’être étant compris ici comme pure substance, il désigne Dieu. La vérité dans son sens absolu renvoie donc à Dieu. La vérité ontologique se définit justement comme la conformité des choses à l’intelligence créatrice dont elles dépendent. Si nous considérons par exemple une table, celle-ci ne sera vraie  que dans la mesure où elle correspond exactement à l’idée que le menuisier en a eu. Pour ce qui est de l’homme, l’on dira que la vérité est l’adéquation entre l’homme et la pensée ou volonté divine. Si du point de vue de l’intelligence créatrice, cette conformité est toujours vraie -Dieu ne pouvant pas se tromper- il n’en va pas de même pour l’être imparfait qu’est l’homme. La tâche de ce dernier consiste effectivement à s’élever vers l’être parfait afin d’être conforme à sa volonté. Mais quelle est cette volonté divine devant laquelle l’homme doit se conformer pour être libre ?

 Dieu étant l’être absolu, tous les attributs de  la perfection lui reviennent.  C’est à partir de ces attributs que l’on peut supposer ce qu’est ou ce que pourrait être sa volonté. Celle-ci peut être identifiée aux prescriptions et au code de conduite contenus dans la Bible qui se résument en certaines valeurs telles que la justice, la paix et l’amour. La justice désigne l’impartialité, l’équité ou l’objectivité régissant les rapports interpersonnels. C’est de la justice que découlent la paix et l’amour, car celui qui vit dans la paix  est en harmonie avec lui-même à travers l’ataraxie ou quiétude de l’âme dont parlent les stoïciens. Il est en accord avec Dieu, et par conséquent baigne dans l’amour au sens moral, c’est -à- dire participe au Bien, à l’Absolu.

 Celui qui applique ces exigences est conforme à la volonté de Dieu et est par conséquent libre. La liberté véritable est celle dont aucun verrou, aucune prison ne peuvent limiter l’action ni dans le temps ni dans l’espace. C’est celle que même la mort ne peut  compromettre, car elle transcende toute peine, tout châtiment et tout ce qui est du ressort de la contingence matérielle. C’est pourquoi, un homme convaincu de la vérité, ne redoute rien, même pas la mort. Socrate et Jésus en constituent des illustrations parfaites.

 En bref la vérité conduit à une liberté spirituelle et éternelle. L’homme, en tant qu’être, ne sera libre que dans la mesure où s’établira cette conformité entre l’être et lui-même et surtout une conformité de l’être à Dieu. Comprise sous l’angle ontologique, l’affirmation de Jésus ne souffre plus d’aucune contestation et mérite autant d’égards aussi bien de la philosophie que d’autres lieux de savoir à l’instar de la théologie chrétienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

En définissant la vérité, nous l’avons prise au sens métaphysique. Nous l’avons ainsi appréhendée comme étant la conformité de l’intelligence à la chose ou à la réalité. Nous avons effectivement reconnu qu’autant la vérité constitue le soubassement de la liberté, autant la liberté conditionne la vérité.

 Seulement, si la vérité objective est accessible de par la conformité de notre pensée au réel, il n’en va pas de même pour la vérité absolue, car être vrai, c’est correspondre, coïncider avec l’être. C’est précisément cette coïncidence parfaite avec l’absolu, l’être premier qui peut totalement nous libérer. La vérité étant transcendante à la raison humaine, elle ne peut être atteinte. L’homme ne peut qu’y aspirer, y tendre indéfiniment, car accéder à la vérité n’est qu’un leurre, une illusion comme le pense Nietzsche. Finalement, si la vérité se situe au-delà de notre entendement, de notre raison, elle doit bien se trouver en quelque lieu. Mais où ? Serait-elle identifiée à la personne du Christ  qui affirme justement : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » ? (Jn.14, 6) Pour mieux cerner la vérité, celle qui nous rendra totalement libres, une voie autre que celle de la philosophie mérite certainement d’être explorée.

 

 

 

ONGONO Célestin, m.s.a.

ABBA GANA Samuel, o.m.i.

 

[1] André Roussel et Daniel Durozoï, Dictionnaire de philosophie, p. 230.

[2] Albert Dondeyne, « Liberté et Vérité, conception philosophique », p. 42.

[3] Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, in J Rassam, Saint Thomas, l’être et l’esprit, cité par Jacqueline Russ

[4] Notre intervention s’inspire amplement de l’article d’Albert Dondeyne intitulé  « Liberté et vérité. Etude philosophique » in Liberté et vérité, contribution de professeurs de l’Université Catholique de Louvain, à l’étude du thème proposé à l’occasion du Bicentenaire de Columbia University, Avant-propos de Mgr. H. Van WAEYENBERGH, Recteur Magnifique de l’Université de Louvain, Publications Universitaires de Louvain, 2 Place Cardinal Mercier, 1954, pp. 39-70.

[5] Saint Thomas, Summa Theologica, Paris, q 83, a 1, a 3 ad 2.

[6] Cf. « Veritas liberabit vos », in Kulu. Annales de l’Institut de Philosophie Saint-Joseph-Mukasa, N°2, Yaoundé, AMA, 2002, p.34.

[7] Cf. W. James, Précis de Psychologie, trad. Par E. Baudin et G. Bertier, Paris, 1929, chap XXII, 489.

[8] Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Bordas, 1991, p. 377.

[9] René Descartes, Correspondance, Lettre à Mersenne, 27 Mai 1641, cité par Jacques Ahrweiler in Ecrits sur la liberté, Paris, Seghers, 1963, P. 50.