l'évolution de la médécine moderne: risques et enjeux pour l'avenir de l'homme.

il s'est ténu au sein de l'instiut de philosophie saint Joseph Mukasa, un grand débat qui opposait les étudiants de l'université catholique de l'Afrique Centrale option Science de la Sante (de Messa) contre les étudiants de l'institut de Philosophie.  Nous vous livrons ici une partie de ce débat.

I-                 
CONSIDERATION BIOETHIQUE (Marcel FOPOUSSI)


A l’heure où le scientisme, germé de l’invitation de Descartes à conquérir la nature pour en jouir des commodités, « mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie »[1], à cette heure où le scepticisme, disais-je, émerge sur la base d’une prévarication effroyable, il se pose avec acuité l’urgence d’une analyse critique visant à soustraire l’homme de la tyrannie d’une médecine qui se dénature.

Si la médecine moderne est le fruit d’un profond et constant exercice rationnel, fierté de l’humanité, l’homme y est néanmoins pris au piège de sa propre raison. Plutôt que d’assujettir simplement la nature, il s’en trouve lui-même outragé et réifié. Il semble n’être rien d’autre qu’un jouet à la merci des machines sans cœur et au supplice de notre charité burlesque motivé par le souci de notre esthétisme d’hommes dits normaux[2].

La question de l’euthanasie et l’avortement : trahison indéniable du serment d’Hippocrate se  présente pourtant comme expression du respect de la dignité de l’homme ou de l’amour de celui-ci mais, « peut-on admettre des cas où l’amour doit être meurtrier, tuer celui qu’on aime ou conseiller à quelqu’un de tuer celui qu’il aime ? »[3] Plutôt que d’être l’exaltation de la dignité de l’homme, l’euthanasie et l’avortement sont le zénith de la déraison. Alors que l’on lutte pour éradiquer la peine capitale, la médecine moderne se métamorphose en monstre froid et en une cours suprême qui liquide sans remord les « coupables » de maladies incurables, de malformation physique,  de fécondation non ou moins désirée,  de vieillesse dépendante…Ironie que de tuer le malade pour combattre a maladie.

 La peur insolite de la mort enthousiasme davantage le refus de vieillir et le désir de s’éterniser, qui  trouve son expression dans l’eugénisme positif, le clonage et les manipulations fantaisistes du génome humain. Des pratiques qui en dernière analyse semblent vouloir faire de l’homme une espèce d’OGM (organisme génétiquement modifié), au même titre que le maïs des champs, la tomate, les poulets de ferme…  Si l’on désire avoir de grosses tomates juteuses, il suffit d’entrer en laboratoire. Face au problème de famine et du  besoin actuel de la nourriture dans le monde, on voudrait certainement déjà envisager des hommes sans estomac. N’est-ce pas une solution ? Mais à quel prix ? Justement au prix actuel de la prétention médicale, la déshumanisation de l’espèce, la « robotisation » de l’homme. Une telle situation inquiète le philosophe quant à l’avenir de l’homme. L’impact de ce laisser-aller alarmant s’observe également dans la décrépitude des valeurs morales et sociales (qui fait de l’homme un simple moyen et une marchandise qu’on peut détailler),  où le naturel et le vrai répugnent l’homme, au profit du dérisoire, de l’artificiel et de l’anéantissement.

 

LIMITES DE LA MEDECINE MODERNE (Bertrand ATANGANA)

 

            De nos jours, l’homme malade peut être atteint dans sa dignité par une dégradation physique ou morale et par la douleur qui n’est jamais bonne ni rédemptrice, et qui doit toujours être combattue. Par ailleurs, il entre dans un univers inhabituel et effrayant celui de la médecine qui a fait certes d’immenses progrès, mais qui suscité en retour des craintes par l’étendue même de son pouvoir mystérieux. C’est alors que nous pouvons noter plusieurs effets adverses de cette dernière :

             - Les maladies iatrogènes, qui peuvent être dues d’une part aux erreurs de prescription, d’administration des médicaments et des autres traitements aux patients, d’autres part, aux accidents et usage inapproprié des méthodes de diagnostique ou thérapeutiques. Notons que ce n’est lorsqu’un nombre important reçoit un traitement et devient victime de ses effets secondaires, que le problème atteint la dimension de problème de santé publique. Il nous parait nécessaire de relever que les dépenses dues aux effets causés par les médicaments sont presque le double des dépenses pour le diabète et pratiquement égalent à celles dues aux maladies cardio-vasculaires.

            - La « conception » d’embryons à des fins scientifiques, commerciales ou industrielles ; la pratique des clonages à des fins de reproduction d’êtres humains ; de nombreuses transplantations et transfusions sanguines sont effectuées hors des centres agréés soumis au contrôle des autorités publiques, et constituent désormais des sources de profit : le génome humain qui est le patrimoine de l’humanité peut faire l’objet de commercialisation.

            - La question des brevets de médicaments qui pose le problème de l’accès aux soins pour les pauvres : une législation mal adaptée pourrait conduire à la biopiraterie.

            - Nous pouvons également constater le problème d’insalubrité dans nos hôpitaux, et la prise en charge tardive des patients.

            - Cas du diagnostic prénatal : bien qu’en prélevant avant la naissance quelques cellules du fœtus flottant dans le liquide amniotique, l’on est en mesure de faire le diagnostique d’une anomalie trop grave et incurable, une interruption de grossesse peut aussi cependant être proposée. Il est clair que, dans ce cas là, la médecine impuissante, va à l’encontre de sa vocation naturelle qui est normalement d’aider les plus faibles et plus mal lotis par la nature. Et dans ce cas, ne pouvant les soigner, la médecine les élimine. Pourquoi cette attitude en contradiction avec ses principes fondamentaux ?

 

 

 

III- L’URGENCE  D’UN RETOUR  A LA DIGNITE DE L’HOMME (Bernard DOURWE)

 

Après toutes les considérations évoquées  si haut sur les risques et les enjeux de l’évolution de  la médecine moderne pour l’avenir de l’homme, il nous revient  d’évoquer l’urgence d‘un retour à la dignité de l’homme. Car ce dernier est une valeur intrinsèque. En effet, la valeur de chaque humain est inestimable et sa dignité est inaliénable car elles sont transcendantes, dérivées du créateur et non de l’homme. C’est pourquoi nous retrouvons cette idée dans la Déclaration d’indépendance américaine qui dit « nous tenons pour évidente pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par le Créateur  de certains droits inaliénables ; parmi ces droits, se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »

La dignité est une qualité liée à l’essence même de l’homme. A cet effet, l’homme mérite un respect inconditionnel quels que soient  l’âge,  le sexe, la santé physique ou mentale, la religion, la condition sociale ou l’origine ethnique de l’individu en question.

Tenant en compte l’ampleur des problèmes que pose la médecine moderne aujourd’hui, de nombreux accords, protocoles, constitutions  ont été légalisés. Nous pouvons citer entre autres la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) en son article premier qui stipule que : «tous les êtres humains naissent libres et vraiment égaux en droits et en dignité »

La dignité de la personne humaine est très spécifique, car selon Kant,  la personne n’a pas seulement comme les choses, une valeur, un prix, mais elle a une Dignité, c’est-à-dire un sentiment de respect d’elle-même qui en fait une fin en soi et fait qu’elle ne doit jamais être traité comme un simple moyen[4]. Ceci exprime une exigence de non instrumentalisation de l’être humain (en matière d’expérimentation  biomédicale ou de transplantation d’organes par exemple.)

Nous pouvons à ce titre louer Hippocrate qui initia l’humanisme médical en rédigeant son fameux serment  qui symbolise la prise de conscience par les premiers médecins laïcs du respect de la Dignité humaine. Il faut en outre souligner le rôle essentiel joué par les grandes religions de Jésus-Christ à Mohamed dans la reconnaissance de la Dignité humaine. Et  depuis les années 60 la naissance de la bioéthique qui prône un respect de la personne humaine comme valeur sacrée car la vie est sacrée.

Albert Schweitzer à la suite de Hans Jonas : « considère comme bon : de conserver la vie et de l’élever à sa plus haute valeur toute vie susceptible de développement. Il considère comme mauvais : de détruire la vie, de nuire à la vie, d’empêcher de croître une vie susceptible de se développer ».[5] Que dans la condition humaine, la plus dégradée qui soit, réside l’humanité dans toute son essence,  dans toute sa radicalité, du nouveau né au vieillard grabataire en passant par celui qui est handicapé,  tous sont  pleinement hommes.

Ainsi, la philosophie qui s’intéresse au « pourquoi » des choses, c’est-à-dire à leur fin ne saurait rester silencieuse devant toutes les déviances occasionnées par la médecine qui a fait de l’homme un moyen, une chose pour parvenir à ses fins expérimentales ou sanitaires. C’est pourquoi l’urgence d’une prise de conscience s’impose car « science  sans conscience n’est que ruine de l’âme » nous disait déjà Rabelais. Ainsi, sans renier les mérites de la médecine, un cri de détresse  se fait ressentir vis-à-vis de la destruction de l’humanité par cette dernière. C’est dans ce sens que nous convenons avec Henri Bergson que « l’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle »[6]. « Le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique ».[7]

 

 

[1] Descartes, Discours de la Méthode, Gallimard, Paris 1966, p.168

[2] Cf. Paul Chauchard, Le respect de la vie, Beauchesme, Paris 1963, p.48

[3] Ibid.

[4] Emmanuel Kant, Fondement de la métaphysique des meurs, Paris, Delagrave, 1967, p.150

[5] Albert Schweitzer, Ma vie et ma pensée, Paris, Albin Michel, 1960, P. 172

[6] Henri Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion, Quadrige/PUF, 1932,  p. 338

[7] Ibid. p. 330.