COMPTE RENDU DE LA RENCONTRE AVEC

LE PROFESSEUR FABIEN EBOUSSI BOULAGA

 

Le Cercle de Réflexion Philosophique (CEREPH) de l'Institut de Philosophie Saint Joseph-Mukasa, a vu le jour en mars 2007. Il a pour but non seulement d'aider les étudiants à approfondir les connaissances qu'ils acquièrent en classe ou pendant leurs lectures personnelles, mais aussi à améliorer et à découvrir de nouvelles méthodes de recherche à travers l'organisation des débats philosophiques entre les étudiants de l'Institut, de même qu'avec les étudiants d'autres structures de l'enseignement supérieur. C'est dans cette perspective d'ouverture à la connaissance que le CEREPH a eu l'honneur et la joie de rencontrer une icône de la philosophie au Cameroun, en Afrique et dans le monde, un professeur de renommée intercontinentale et un écrivain fécond. La rencontre avec l'imminent professeur Fabien Eboussi Boulaga portait aussi bien sur la compréhension de certains de ces ouvrages, répartis et lus pour la circonstance que sur sa vision présente du monde. Le partage s'est fait sous forme de questions-réponses.

À la question de savoir pourquoi avoir choisir la philosophie plutôt qu'autre chose, le professeur rappelle la difficulté de choix pour les jeunes de son époque, de même que beaucoup d'hommes d'aujourd'hui. Après avoir montré que l'on est engagé dans la vie avant de s'engager soi-même et que la vie de chacun d'entre nous se passe à se dégager des engagements dans lesquels nous avons été engagés avant que nous ne puissions le faire nous-mêmes, précise que le choix de la philosophie de sa part a été d'abord le choix global d'un jeune qui s'oriente vers le séminaire, avant d'être ensuite un engagement personnel avec conviction.

Il a été ensuite demandé au professeur de dire un mot sur les philosophes qui l'ont influencé, vu que pour être un grand philosophe il faut s'appuyer sur les pères de la philosophie. Pour le professeur, la phi1osophie n'est pas une tradition théologique où il y a des pères, elle s'est même souvent exprimée comme patricide. La préoccupation de se donner des influences n'est pas le travail qu'on attend du philosophe quand il philosophe réellement. Néanmoins il reconnaît avoir reçu une formation de type commun et lu des grands auteurs comme Platon, Aristote, Kant, Hegel.

Qu'est ce que la philosophie pour le Professeur? Est-il d'avis que la clarté de la pensée commence par celle de la terminologie? Pour lui, la philosophie n'est pas principalement une affaire de terminologie. À la suite de Bertrand Russell, il affirme que la philosophie est ce qu'on fait dans les facultés et les départements de philosophie. Il rappelle le risque de tomber dans le formalisme en voulant donner une définition à la philosophie. Elle n'est pas seulement un discours, elle est activité en tant que philosopher c'est s'attaquer à des problèmes d'hommes qui cherchent à comprendre où ils sont et qui ils sont. La terminologie joue un rôle secondaire. Et une philosophie qui se fait immédiatement comprendre de tout le monde ne serait vraiment pas un appel à la réflexion profonde et à l'élévation de l'esprit, mais ce n'est pas un appel à être abstrus.

Le professeur a également dit un mot sur l'inculturation. Il est question pour lui de savoir d'abord ce qu'est la culture africaine, ce qu'est l'Afrique. Pour lui il n'y a pas une culture africaine, il y a des cultures africaines et à l'intérieur d'une société il y a des cultures. Parler de culture africaine revient à mettre historiquement en exergue l'ensemble des façons dont les africains expriment, maintiennent et conservent leur émergence en humain.

Interrogé sur le sens donné à l'expression « irréductibilité» dans La crise du Muntu le Prof. Fabien E. dit ne donner aucun sens que celui qui est dans le livre, c'est-à-dire celui de savoir pourquoi nous voulons des philosophies qui s'expriment comme philosophie africaine. Si les colons ont affirmé que nos parents n'avaient pas de culture, et que cela équivalait à dire que nous ne sommes pas humains, cela justifie par le fait toutes les revendications qui s'en suivent. Et nous sommes irréductiblement humains dans cette volonté de nous affirmer, et de montrer que l'être humain est celui qui refuse d'être figé en une chose.

Parlant de la foi, la philosophie africaine précise qu'on ne croit pas sur la base d'une rumeur, ni à la place de quelqu'un d'autre; la foi est une expérience personnelle.

En rapport aux élections prochaines et à la visite papale au Cameroun, et à l'expression « élection à l'algérienne », le professeur explique que les élections à l'algériennes revoient à l'histoire de l'Algérie vers la fin de la colonisation avant la guerre dite d'Algérie. En effet, les administrateurs coloniaux organisaient des élections qui étaient toujours gagnées à l'avance par leurs partisans. Le jeu de l'élection consistait à bien faire gagner le vainqueur. Quant à la visite du pape au Cameroun, elle ne peut rien changer. Il n'y a pas de miracle systémique dans l'Évangile. Les miracles sont individuels. Le gagnant traditionnel le restera toujours.

Pour ce qui de la marginalisation de l'opinion publique et du refus de l'opposition par les chefs d'États africains et en outre de la responsabilité des citoyens, il en ressort le regret du manque de structures fiables par lesquelles le camerounais, précisément, peut revendiquer ses droits. La citoyenneté est aussi escamotée par les partis tribaux et régionaux.

Professeur, dans La crise du Muntu, vous exposez le besoin de mettre en place des chartes, des droits et des devoirs qui ont pour fondement le mythe et la religion. En tant que philosophe, quelle religion choisir pour fonder les chartes et les lois africaines? Pour le Professeur, il n'est pas dit qu'il faille choisir un mythe ou une religion pour la mettre au fondement de la société nouvelle africaine. Ce que dit le professeur est que quand les gens ont subit des crimes il faut qu'ils mettent un mémorial pour se souvenir de ce qu'ils ont subi, pour que cela ne se répète plus. Et que cela soit comme le symbole qu'ils mettent avant leur constitution, qui n'a de sens que si elles expriment une expérience historique d'un peuple réel. Tout le reste est contre sens et inventions.

Nous avons également voulu savoir si la rédaction de La démission a un rapport avec sa démission de la compagnie des jésuites. Le professeur affirme qu'il n'y aucune relation entre les deux "démissions".

À la question de savoir si en dehors de lui il y a d'autres philosophes en Afrique, le professeur EBOUSSI nous révèle qu'il ne se dit pas philosophe lui-même et qu'il ne se sait philosophe que parce que d'autres le disent de lui. Par conséquent, il se refuse de préciser qui est philosophe ou pas. Néanmoins il nous renvoie dans œuvres où nous découvrirons moult personnes qui réfléchissent sur des questions philosophiques au-delà de quelques personnages du Cameroun.

Nous étions allés à la rencontre du professeur remplis de questions. Nous nous sommes abreuvés à la source, mais à chaque gorgée de cette connaissance, nous sentions grandir en nous la soif de la recherche et la faim de pousser la réflexion encore plus loin que le temps ne nous le permettait. C'est alors dans cette mouvance que nous avons pris rendez-vous avec le professeur pour l'année académique 2009/2010, dans la promesse d'approfondir des thèmes encore plus intéressants.

 

Marcel FOPOUSSI, Secrétaire Général Adjoint