L'HOMME EST-IL UN –ETRE –POUR LA VIE OU

 UN-ETRE- POUR-LA MORT ?

nous voulons vous partager ce débat qui a eu lieu entre les membres du CEREPH lors de la journée des étudiants du 04 novembre 2009. 

            ATANGANA Bertrand : Chers auditeurs, chers amis dans la pensée, à tous et à chacun bienvenu ! Plus que jamais, la question de vie et de mort  reste d’actualité. Dans le monde animal ou végétal, la mort apparaît comme un phénomène naturel qui marque simplement le rythme de la vie, l’ordre, la reproduction de l’espèce. Cependant, il en va autrement pour l’homme, qui considère la mort comme quelque chose qui le concerne spécifiquement. Plus encore, il  en fait un phénomène purement humain. C’est la mort qu’il faut considérer si l’on veut interroger la vie, au point d’arriver à considérer que dans notre univers seul un événement compte : notre mort. Alors soucieux d’avoir si possible une idée claire et distincte sur les notions de vie et de mort, idée qui nous sortira de notre pauvreté, non une pauvreté matérielle mais une pauvreté supérieure qui aliène l’humanité à savoir la pauvreté intellectuelle,  nous accueillons sur ce plateau deux éminents chercheurs pour nous partager le fruit de leurs recherches. A ma gauche, nous avons Mr DOURWE BERNARD qui nous parlera de l’homme, un être pour-la mort. Et à ma droite, nous avons Mr FOPOUSSI qui parlera de l’homme, un être pour la vie.

 

A.B. : Mr Dourwé, vous avez accepté volontiers vous présenter sur ce plateau pour soutenir l’hypothèse selon laquelle l’homme est un être-pour-la mort. Alors qu’entendez-vous par homme et mort ?

Dourwe Bernard : L’homme est partie intégrante du monde vivant ; à ce titre, il est sans aucun doute le produit d’une évolution. Son apparition résulte de processus analogues à ceux qui ont présidé à la transformation progressive de toutes les autres espèces vivantes. De cette histoire très longue et complexe, étalée sur plusieurs milliards d’années, se dégagent à l’évidence des « lignes directrices », la complexification progressive des « systèmes » vivants, chez les vertébrés, l’acquisition d’une autonomie toujours plus grande vis-à-vis du milieu ambiant. Cet affranchissement progressif se traduit par l’acquisition de comportements de plus en plus complexes, soutenus par un système nerveux central, coordonateur de plus en plus développé.[1]

« Tout animal ayant atteint un certain niveau d’évolution meurt inexorablement par l’usure irréversible de tel ou tel de ses organes (souvent le système nerveux) […] la mort apparait ainsi comme génératrice du progrès biologique, en permettant à des êtres nouveaux de succéder à des parents dont ils sont légèrement différents. Conséquence de la complexification du corps, la mort est le prix de l’existence d’individus hautement organisés et autonomes. Elle apparaît donc ici comme une condition de progrès vers l’autonomie ».[2]

         La mort n’est pas seulement une perte de conscience définitive, mais une dégradation progressive des organes, des tissus et des cellules menant d’une façon irréversible à la décomposition complète. Ainsi, « Selon l’expérience, c’est l’arrêt d’un comportement, l’arrêt  de mouvements expressifs et de mouvements ou processus physiologiques, dissimulés par eux ».[3] Elle est quotidienne, naturelle, aléatoire, universelle.

 

A.B. : L’homme est le fruit d’une évolution. Nous venons de l’écouter de Mr Dourwé. Alors Mr Fopoussi, de votre point de vu, quelle conception faites-vous des notions de l’homme et de vie ?

Fopoussi Marcel :   De façon générale, pour définir l’homme, on le présente d’abord et à juste titre, comme un être vivant. On dit de lui qu’il est un « animal ». C’est une définition sur une base étymologique latine, qui signifie  souffle, vie[4]. L’origine de ce souffle, de cette vie en l’homme n’a cessé de faire l’objet de controverses entre les hommes épris de connaissance et de vérité. Quelle que soit néanmoins la thèse soutenue à cet effet, il apparait que l’homme, en tant qu’être organisé est en plein dans le mouvement. Or nous le savons bien, « omne quod movetur ab alio movetur », tout ce qui est mû est mû par un autre. Si nous admettons cette  affirmation aristotélico-thomiste, nous comprendrons que l’homme est un être pensé par une intelligence suprême et appelé à la vie, dont la dimension matérielle s’inscrit dans le mouvement.

A.B. : Mr Dourwe, nous venons d’écouter tour à tour les différentes conceptions de l’homme, de la mort et de la vie. Alors quelle relation établissez-vous entre l’homme et la mort ?

D. B. : Tout être humain à partir du moment de sa naissance commence à mourir c’est-à-dire qu’il s’engage dans un long processus de transformation biologique le menant inéluctablement à la mort. La mort est un processus enraciné dans la vie.

Mais la réalité quotidienne nous montre que l’homme est tellement accroché à la vie qu’il a peur de mourir. Devant la mort, il vit dans un climat de peur, d’angoisse, de panique générale et de lamentation. Pour remédier à cette situation qui s’avère dramatique pour l’homme, ce dernier, par sa raison   (qui le singularise dans l’univers), se fait des fantasmes notamment avec la croyance à l’immortalité des morts et le culte fait à ceux-ci car il cherche à s’éterniser au-delà de la mort.    C’est dans ce sens Auguste Comte, au cœur d’une réflexion sur la religion de l’humanité, identifie l’immortalité avec la culture que construisent et transmettent les hommes dans l’histoire. L’immortalité est dans le souvenir et dans le culte.[5]

        Pourtant, la mort n’est rien pour nous.  Ainsi, Epicure se propose, à travers la « lettre à Ménécée »,  de délivrer l’homme de la crainte de la mort, en montrant qu’elle n’est rien pour lui, qu’on ne peut pas à proprement parler faire l’expérience. La mort n’est ni un bien, ni un mal, elle n’est rien. 

      « Habitue-toi à penser que la mort n’est rien pour nous ; car tout bien et tout mal est dans la sensation : or la mort est privation de sensations. Par suite, la droite conscience que la mort n’est rien par rapport à nous rend joyeuse la condition mortelle de la vie, en ajoutant un temps infini, mais en ôtant le désir de l’immortalité. Car il n’y a rien de redoutable dans la vie pour qui a vraiment compris qu’il n’y a rien de redoutable dans la non vie. Sot est donc celui qui dit craindre la mort, non parce qu’il souffre de ce qu’elle doit arriver. Car ceux dont la présence ne cause aucun trouble, à l’attendre ne fait souffrir pour rien. Ainsi, le plus terrifiant des maux, la mort, n’est rien par rapport à nous, puisque, quand nous sommes, la mort n’est pas là,  et quand la mort est là, nous ne sommes plus. Elle n’est donc en rapport ni avec les vivants ni avec les morts, puisque, pour les uns,  elle n’est pas et que les autres ne sont plus ».[6]

Matérialiste comme Démocrite, Epicure réduit l’univers à une collection d’atomes indivisibles et éternels, mais différents de tailles et de poids. L’âme humaine qui n’est rien d’autre qu’une rencontre fortuite d’atomes plutôt ronds et siégeant dans la poitrine, ne saurait donc, pas plus que le corps, prétendre à une quelconque immortalité. La crainte de la mort est donc injustifiée. Ainsi, tout cesse avec la mort, et la crainte de l’au-delà, n’est qu’une vaine crainte.  La peur de la mort, c’est au fond celle de notre irréversibilité  dans le temps (Freud).

La mort est considérée comme un tabou. On évite d’en parler. Alors qu’il faut dire avec Nietzsche, dans Le Gai Savoir, que : « Ce qui me rend heureux, c’est de  voir que les hommes refusent absolument de penser la pensée de la mort ! Et je contribuerais volontiers à leur rendre la pensée de la vie cent fois plus valable encore ».[7]

La mort est le retour au néant. Chez Hegel, en effet,  le néant est d’une part d’ores et déjà être ; d’autre part, dans l’esprit immédiat, la mort est le retour à l’élémental du sang ou de la terre que le mort a rejoints. Il y a retour du défunt dans l’être simple des éléments, mais il en est aussi arraché par le geste conscient du survivant qui accomplit en l’honneur de celui qui a été conscient et ne l’est plus, le geste de l’inhumation qui arrache à l’être-là naturel. Les obsèques transforment le mort en souvenir vivant ; les vivants ont ainsi un rapport avec le mort et sont déterminés à leur tour par le souvenir.[8]

 

A. B. : Mr Fopoussi, tout à l’heure dans ses propos, Mr Dourwe vient de nous faire comprendre que l’attitude de l’homme face à la mort, n’est qu’une attitude de crainte et d’angoisse. Et pourtant, tel qu’il le dit en termes épicuriens : « La mort n’est rien par rapport à nous, tant que nous sommes, elle n’est ». Alors quelle est votre réaction ?

         F.M. :   L’attitude de l’homme face à la vie,  qui est sa vocation première, reste surprenante, car paradoxale. C’est un comportement de l’homme en général justifié par la non compréhension de la vie dans son extension.  A bien observer, nous constatons que l’homme redoute toute expérience nouvelle, or la vie de sa dimension spatio-temporelle à celle qui échappe à l’espace et au temps, est constituée d’expériences et de ruptures. L’entrée dans une étape marque la rupture avec l’étape précédante. Rupture signifie déchirure, séparation, d’où la douleur physique, psychologique ou affective.

Quand un enfant vient au monde, il est appelé à faire l’expérience d’une nouvelle façon de vivre. Mais cet appel se fait sous forme d’expulsion, d’extirpation ou d’extraction et de coupure. Il est rejeté, chassé, expulsé de cet axile douillé et sacré que sont les entrailles de sa mère ; il est en suite coupé, déconnecté de sa mère par un objet tranchant. Quel nouveau-né pourrait-il sourire devant un telle « brutalité » ? Son entourage est pourtant dans la joie, mais pas lui, pourquoi ? Serait-ce parce que son entourage sait que cet enfant entre dans une nouvelle façon de vivre ou d’exister ? Une façon d’exister dont la durée est nettement plus longue que la situation passagère et dépendante du placenta ?

Comme nous l’avons vu plus haut, l’homme ne se comprend et ne se conçoit qu’en rapport à la vie. La vie est sa vocation première et la cause de son existence. Mais il arrive qu’à un moment de la vie, tout homme est appelé à changer d’état de vie. Ses organes vitaux cessent de fonctionner ; l’instant létal a été atteint. On parle alors de la mort. Mais il est on ne peut plus important de comprendre que la mort n’est qu’une étape de la vie.

 

A.     B. : Et bien, qu’entendez-vous par mort comme une étape de la vie ?

F. M : Bien que la mort physique semble n’avoir de signification que de nihilisation, elle revêt au contraire un caractère libérateur. Une liberté qui débouche sur la connaissance pure, aspiration légitime de l’esprit humain. C’est profondément persuadé de cela que Socrate se refusa de préparer son procès ; attitude fortement incriminée par ses contemporains. Platon pensait d’ailleurs que « le philosophe, qui aspire à la pure connaissance, doit donc lutter sans cesse contre son corps pour libérer son âme. Comment dès lors ne se réjouirait-il pas de mourir, puisque la mort est une séparation totale et définitive de l’âme d’avec le corps ?-Ainsi- la mort [apparaît comme] un raccourci qui nous mène au but »[9].

Pour mieux comprendre  ce qu’affirme Platon, il convient de le saisir dans sa philosophie dualiste. Pour Platon, l’homme est un assemblage de deux éléments : l’âme et le corps. Ces composantes ne nourrissent pas toujours de rapports de complémentarité ou d’unité absolue, il s’agit plutôt d’un rapport conflictuel. Le corps est une prison ou pire, une tombe pour l’âme, qui elle, n’a autre but que de se libérer de ce boulet qui entrave son envol vers la connaissance. L’extase de l’âme est la contemplation des Idée éternelles.

 

A.    B. : Intéressant dans votre manière de dérouler l’argumentation, mais quelle conception faites-vous de l’âme ?

F. M. : Qu’est ce que l’âme ? Voilà une question qui ne manque pas de difficulté quant à sa réponse. En réalité, il est quasi impossible de dire avec exactitude ce qu’est l’âme. C’est un concept dont la nature est floue et vague et dont l’appréhension varie selon les époques et les cultures. Ainsi, les conceptions de l’âme s’organisent autour de trois points : l’âme-vie, l’âme-esprit, l’âme-divinité.

L’âme-vie ou force vitale. C’est selon Aristote in De anima, une « forme » qui organise la matière et impulse son mouvement. Elle peut donc être comprise comme la vie, une sorte de « souffle vital » qui fait que la matière soit organisée et vivante. « Mais cette assimilation âme-principe se trouve être partagée par de nombreuses cultures qui pour l’âme n’est pas un attribut divin ou humain, mais se révèle incarnée dans le monde végétal et animal. C’est en ce sens qu’on parle ‘‘d’animisme’’.

L’âme-esprit (conscience, pensée). Cette âme est attribuée aux seuls humains et entités supérieures. Elle est donc identifiée à l’esprit, la pensée ou la conscience. C’est ‘‘l’intellect’’, le ‘‘nous’’ aristotélicien.

L’âme –divinité « le concept le plus commun de l’âme est celle d’une entité spirituelle, dématérialisée et présenté dans un au-delà parallèle au nôtre : le ciel, les limbes, etc. cette conception se retrouve dans toutes les religions. Dans le chamanisme, les animaux et humains possèdent une âme distincte du corps matériel qui vagabonde après la mort. dans cette catégorie de l’âme-divinité s’intègrent [les] dieux, [les] déesses, [les] démons et toute la panoplie des anges, séraphins et autres âmes des ancêtres sensées les accompagner dans l’au-delà. A quoi s’ajoutent fantômes, spectres et autres esprits qui hantent manoirs, cimetières, forêts et autres recoins obscurs.

« Âme-vie », « âme-esprit » et « âme-divinité », trois notions qui s’entremêlent, d’où l’extrême fluidité et versatilité de la notion. Au-delà des époques, des cultures, des formes élaborée ou populaires, l’on retrouve un peu partout un tronc commun oscillant entre ces trois pôles. »[10].

     A. B. : Mr Dourwe, par objection, Mr Fopoussi laisse entendre que le rapport que vous établissez entre l’homme et la mort peut, voire même est justifié par la non-compréhension du monde par l’homme. Et il affirme que la mort n’est qu’une étape de la vie. Alors, vu ce raisonnement, pensez-vous encore qu’il soit possible de faire venir au bout de nos lèvres, et même de penser ce que vous soutenez à savoir : l’homme est un être-pour-la mort ?

 D. B. : La mort est la fin ultime de toute vie inscrite dans les lois de la nature. En fait, les vivants vieillissent, agonisent, s’éteignent, les cadavres pourrissent. Et la mort n’est pas que de l’homme et des vivants. Elle touche tout ce qui s’inscrit dans le temps : les sociétés qui s’effritent, les systèmes culturels qui entrent en décadence, les objets qui s’usent pour se désagréger en résidus et ruines.

        La seule destinée que l’homme ait connu c’est la mort.  La mort partout : devant nous et derrière nous. Chaque instant de la vie est un pas vers la mort. L’homme cherche à fuir la mort  à travers la science mais hélas, en vain. Les morts ne reviennent pas. Ils sont rayés des listes. Il ne reste que la résignation, le souvenir.

        La mort, qui est la négation totale de l’être, permet l’équilibre de la nature. Elle fait partir des conditions humaines. Elle est naturelle et marque la finitude du vivant. L’homme change, et la mort ne change pas. L’homme fuit et la mort toujours le rattrape. La médecine malgré toute son évolution ne peut stopper le phénomène de la mort.

      S’il faut revenir aux propos d’Epicure, l’âme, comme  le corps, est composé d’atomes : sauf que ceux-ci sont ronds, et plus légers et plus substils que ceux qui constituent le corps. A la mort, le corps se corrompt, et les atomes de l’âme se dispersent dans la grande circulation universelle.

Pour les stoïciens, la mort s’inscrit dans une nécessité universelle qui est bonne et raisonnable. Les hommes doivent accepter la mort, comme ils doivent accueillir tout ce qui relève de l’ordre cosmique gouverné par une providence attentive aux hommes. La mort est inscrite dans l’ordre naturel des choses.

Pourquoi n’accepterions nous pas comme Jacques Monod, ce que la biologie nous apprend ? « L’homme sait qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard »[11].       

Pour Heidegger, l’homme est fondamentalement « un-être-pour-la-mort. » et il y a de liberté que pour assumer la mort. « Dès que l’homme naît, écrit Heidegger, il est assez vieux pour mourir ». Pour lui, en effet, nous dit Emmanuel Levinas : « la fin de la mort est affirmée comme néant, sans que rien ne pénètre d’au-delà du néant dans la manière dont le néant de la mort fait acte dans le dasein ».[12]

       La position sartrienne se fonde sur une considération matérialiste  de la vie et de l‘homme. Pour lui, la mort est une fin absolue et irrémédiable. Et une telle mort, dans les perspectives humaines, est absurde et rend la vie également absurde. Cette démonstration d’absurdité, à partir  du principe d’anéantissement, est d’une rigueur parfaite. [13] Pour Sartre, la mort révèle essentiellement le caractère absurde de notre existence. Il analyse à cet effet deux types de morts possibles : la mort comme accomplissement d’une vie remplie et la mort qui surprend avant l’heure. La vie, constate-t-il, est non seulement une entreprise limitée, mais très souvent aussi une entreprise manquée. « S’il n’existait que des morts de vieillesse, je pouvais attendre ma mort. Mais précisément, le propre de la mort, c’est qu’elle peut toujours surprendre avant terme ceux qui l’attendent à telle ou telle date»[14].  La mort ne peut donc être attendue comme un point d’orgue, comme le dernier accord de notre vie. Le hasard dont elle dépend lui ôte tout caractère de fin harmonieuse. En introduisant le hasard au sein de mes projets, la mort vient anéantir toutes mes possibilités.[15]

        La mort de l’homme est indéniable. Elle implique pour cela une préparation. C’est à juste titre que le philosophe  conscient de cela ne peut qu’affirmer « philosopher c’est apprendre à mourir » car « la mort est le dernier rendez-vous social »[16]

       S’il est vrai que l’humanité, depuis qu’elle existe, a connu autant de morts qu’il aurait les étoiles dans notre galaxie et que la société moderne hantée par le déni de la mort reste pourtant résolument mortifère, l’inévitabilité du mourir et le droit de tuer ne cessent de questionner l’homme.

 « Il y a ceux qui vivent en désir d’immortalité ; ce monde qui nous entoure prêche « l’amortalité ». « le pouvoir de l’homme sur lui-même (avortement, euthanasie, suicide et peine de mort), la violence sous toutes ses formes (guerres, accident de travail ou de circulation, tortures[17], écocides et zoocides), l’accroissement de la durée de vie qui pose avec acuité le problème angoissant des vieillards, suffisent pour caractériser une société mortifère, la nôtre, où le déni de la mort reste partout souverain. ». Ce constat nous amène à nous interroger sur la possible fin de l’espèce humaine car la fin de l’espèce humaine est possible si l’homme ne prend pas aujourd’hui les mesures adéquates pour sauvegarder la vie.

A. B. : Mr Fopoussi, vous avez dit que la mort n’est qu’une étape de la vie. Et portant Mr Dourwé vient d’affirmer que la mort est une négation totale de l’être. Ne voyez-vous pas donc que chercher à montrer ou à démontrer que l’homme est un être-pour-la vie est une activité vaine voire même illusoire ?

F. M. : Face à l’irréversible passage létal, preuve de l’incapacité actuelle de la médecine à maintenir l’homme éternellement sur la terre, l’humain est naturellement déçu. Le discours sur l’immortalité ne parait alors rien d’autre qu’une grosse baliverne. L’on aurait bien voulu vivre infiniment sans jamais voir la fosse (Ps. 48). Mais quelle illusion que de croire que l’immortalité signifie une vie temporelle qui dure toujours. En effet,  «  l’immortalité n’est en aucune manière une vie qui dure toujours : c’est une vie que la mort doit précisément terminer, afin qu’au lieu de se prolonger toujours comme elle a commencé, elle puisse tout entière recevoir une signification qui l’immortalise. De l’immortalité, la mort  est un moyen, loin d’être pour elle un obstacle ou une négation »[18]

L’immortalité (vie éternelle) ne peut être envisagée abstraction faite du passage de la mort. C’est pourquoi « la mort et l’immortalité sont mêlées l’une et l’autre à notre vie, loin qu’il faille dire seulement qu’elles la terminent ou la prolongent. La foi dans l’immortalité n’est pas seulement une anticipation de notre avenir, c’est la substance spirituelle de notre présent »[19]. Bref, la mort n’est pas la négation de la vie, elle en est l’expression, la mort ne s’oppose pas à la vie, elle en est l’actuation.

La question de l’immortalité de l’âme trouve son apogée dans la religion. De par sa définition même, la religion requiert un être transcendant, suprême et immortel, cause de la vie et de la survie de ses fidèles. La soif inextinguible de l’immortalité est consubstantielle à l’homme. La compréhension de l’immortalité, soulevons-le, varie suivant qu’on est d’une obédience religieuse ou d’une autre. Ainsi, réincarnation, métamorphose, métempsychose, éternel retour de l’âme… tout cela traduit la compréhension que l’homme fait d’une réalité (encore obscure) qui est sienne.

A.    B. : Tiens, Mr Fopoussi, puisque l’immortalité de l’âme trouve son apogée dans la religion, trouve-tu nécessaire de se reposer cette question avec Lamartine : la mort de Socrate ou alors l’immortalité de l’âme n’annonce t- elle pas la passion du Christ ?

F.M. : Peut-être bien. Quoi qu’il en soit, selon l’Eglise catholique, l’immortalité est garantie par la résurrection. Dans le Catéchisme de l’Eglise catholique il est dit clairement que  « dans la mort, séparation de l’âme et du corps, le corps de l’homme tombe dans la corruption, alors que son âme va à la rencontre de Dieu, tout en demeurant en attente d’être réunie à son corps glorifié. Dieu dans sa Toute-Puissance rendra définitivement la vie incorruptible à nos corps en les unissant à nos âmes par la vertu de la résurrection de Jésus »[20]. C’est dire aussi que malgré la décrépitude, la dissolution de nos corps, ils ressusciteront.

Il est également dit que tous les hommes ressusciteront soit pour la vie soit pour la damnation, selon qu’on aura bien agit ou pas[21].

L’Eucharistie, zénith, point centrifuge et centripète du catholicisme, est alors le gage de cette immortalité : « l’Eglise sait que dès maintenant le Seigneur vient dans son Eucharistie, et qu’il est là au milieu de nous. Cependant, cette présence est voilée. C’est pourquoi nous célébrons l’Eucharistie en ‘‘attendant la bienheureuse espérance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ’’, en demandant ‘‘d’être comblés de (sa) gloire tous ensemble et pour l’éternité, quand (Il) essuiera toutes larmes de nos yeux ; en (Le) voyant Lui notre Dieu tel (qu’Il) est, nous Lui seront semblables éternellement, et sans fin nous chanterons Sa louange, par le Christ notre Seigneur ».

                A. B. : Mes chers amis, bien évidemment dans la recherche de la vérité, nous pouvons constater qu’au sujet de la vie et de la mort, les points de vue restent divergents. Si par exemple pour Platon, la vie du sage est médiation à la mort, et que Hegel considère l’une comme condition de l’autre, Epicure par contre considère la dernière (mort) comme inexistante tant que l’homme vit. Alors opter pour l’une de ces hypothèses, supposerait qu’on ait mûri notre réflexion. Car choisir est en quelque sorte détermination d’une certaine orientation de sa vie. Si nous adoptons l’hypothèse selon laquelle l’homme est un être-pour-la mort, cela veut dire que nous admettons que la fin de l’homme doit être non pas le fait de l’homme lui-même, mais le résultat du libre jeu des forces de la nature dont-il fait partie intégrante. Mais si tel est le cas, est-ce pour autant nécessaire d’anticiper sur sa mort et la destruction de la nature à travers les pratiques inhumaines telles que : les avortements, l’euthanasie, les génocides, les zoocides, les écocides et bien d’autres encore ? Si au contraire, nous optons pour l’hypothèse selon laquelle il est un être-pour-la vie, la conduite y découle. Car cela suppose qu’on sait par qui et pourquoi il est fait pour la vie.

Christian Montenat, Luc Plateaux et Pascal Roux, Pour lire la création, pour lire l’évolution, Cerf                                                                         Paris,  2007, p. 173           (221p.)

[2] Ibid. p.62 (221p.)

[3] Emmanuel Levinas, Dieu, la mort et le temps, le livre de poche, essais,., 1993.p. 20 (285p)

[4] Cf. Dictionnaire Petit Robert

[5] Cf. Auguste Comte, Catéchisme positiviste, deuxième entretien (1862), Garnier-Flammarion

[6] Epicure, « Lettre à Ménécée » § 124, trad. M. Conche, in Lettres et Maximes, Puf, 1987.

[7] Nietzsche, Le gai savoir, n°278

[8] Emmanuel Levinas, op. cit. p. 103

[9] Platon, Apologie de Socrate, Hatier, p.33-34

[10] Sciences humaines, n° 206,  juillet 2009

[11] Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, p. 195

[12] Emmanuel Levinas, Dieu, la mort et le temps, p.53

[13]  Cf. Rejis Jolivet, Le problème de la mort chez M. Heidegger et J.P. Sartre, edition la Fontenelle, Paris, 1950, p. 103 (112p)

[14]   Ibid.

[15] Centre théologique de Meylan, les hommes devant la mort,  Cerf, Paris, 1975.

[16] Bruno Lagrange et Marie Oraison, le mystère humain de la mort, édition Select, Montréal, P. 47

[17] L. V. Thomas, Anthropologie de la mort, Payot. P. 59 in le mystère humain de la mort.

[18] Louis Lavelle, De l’âme, Aubier, éd. Montaigne, Paris 1951, p.487.

[19] Ibid. p.484

[20] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°977, p.214

[21] Cf. ibid.

                                                 le Sécrétaire Général
                                                    DOURWE Bernard