CEREPH-IPSJM

L’HOMME PEUT-IL S’ACCOMPLIR ?

 

A la date du samedi 08 mai 2010 s’est ténu au sein de l’Institut un débat pourtant squr l’accomplissement de l’homme.  Nous vous livrons ici  les différentes parties qui ont fait l’objet de la discussion.

 

L’accomplissement de l’homme : une vaine tentative (MENGAME Boris)

      L’homme dans sa vie demeure toujours dans la soif de sa réalisation parfaite. Un détour dans l’histoire de la pensée nous permet par exemple de voir comment la sagesse humaine cherche depuis toujours à comprendre, à connaitre, à cerner l’être, le mal, l’écoulement des choses, l’absolu. Cette sagesse a bien souvent prouvé ses limites au regard des multiples erreurs dont elle a eu à considérer comme vérité.

     Lorsqu’au cinquième siècle avant Jésus-Christ, on assiste à la radieuse naissance de la philosophie à Milet, l’homme semble alors avoir trouvé le chemin véritable de sa perfection. Et  Socrate le prince des philosophes va se charger de « mettre les intelligences en travail »[1]. Ses discours portent avant tout sur le problème de la conduite humaine. Il recommande aux hommes le souverain bien. Et Platon fera l’éloge du monde intelligible garant de ce bien absolu. Il affaiblira l’importance du monde sensible et de l’expérience, le corps pour lui parce que sensible se dressera en tombeau de l’âme, cette âme qui appartient elle au monde intelligible. L’homme va-t-il se réaliser dans l’Idée au détriment de sa sensibilité et par là même de ses besoins vitaux ?

     La philosophie est l’amour de la sagesse, et qu’elle se veut rationnelle et objective permettra-t-elle donc à l’homme de s’accomplir ? Elle est la recherche de la vérité, et cette recherche de la vérité est comme la poursuite de l’horizon tel que le soutient bien Ernest Simo et à Karl Jaspers d’ajouter que faire de la philosophie c’est être en route et les questions en philosophie sont plus importantes, parce que chaque réponse en fait devient une nouvelle question. L’être humain reste donc voué à une quête permanente de la vérité, de l’évidence, de la certitude, de la pleine assurance et donc de son accomplissement.

      L’homme par sa raison a prouvé sa capacité à se déshumaniser. L’on peut évoquer des pratiques telles que celles de l’homosexualité, la prostitution, l’euthanasie, l’avortement. Et même, il va au delà de son autodestruction et affecte son environnement à travers ses multiples activités industrielles et nucléaires pour ne citer que cela.

      Le siècle de lumière, les découvertes scientifiques du dix-neuvième siècle et l’évolution actuelle de la science convergent dans la recherche de l’épanouissement de l’homme. Mais l’homme  nous le constatons reste hanté par le désir et la passion, tendances qui  expriment  ce vide continu qu’il cherche à combler. Jean Jacques Rousseau dans la nouvelle héloïne affirme qu’ « on jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et on est heureux qu’avant d’être heureux ». L’être humain se trouve ainsi à la merci de l’insatisfaction perpétuelle. Il se trouve enfermé dans cette tendance vers une fin qui s’ignore et qui n’existera peut-être jamais. Puisqu’on ne désire que ce dont on manque, le désir étant intrinsèque à l’homme, ce désir qui ne sait même pas toujours ce qu’il veut ouvre les portes du no accomplissement à l’homme. La classification des désirs selon Epicure présente l’homme au cœur du besoin. Partant des désirs qui lui sont nécessaire comme la nutrition, la tranquillité du corps, la variation des plaisirs, la recherche de l’agréable, il se retrouve aux désirs artificiels et même irréalisable comme celui de l’immortalité. L’être humain dans sa course vers le bien être franchira-t-il la ligne d’arrivée ?

      Le vécu quotidien de l’homme révèle clairement et distinctement sa malheureuse situation. Le vouloir vivre laisse apparaitre l’illusion d’une volonté individuelle. Le riche tout comme le pauvre incessamment quêtent le bonheur et Schopenhauer pense qu’il ya des gens capables de tuer leurs semblables s’il le faut pour pouvoir cirer leurs bottes avec la graisse du mort ! L’on lutte pour conquérir des richesses et des biens que la mort ne tarde souvent d’arracher. Et même en possession de ces biens, il ya toujours cet ennui ininterrompu. La vie oscille de la souffrance à l’ennui comme un pendule. Nous donnons raison à Schopenhauer, lui qui dit que la satisfaction donnée aux désirs ressemble à l’aumône donnée aujourd’hui au mendiant et qui le fait vivre assez pour être affamé demain.

    Que dire de la religion, l’homme qui se rend compte de l’impossibilité de son accomplissement pense pouvoir trouver refuge en la forme d’illusion que constitue la religion. Freud dans ce sens souligne que parce qu’incapable de résoudre ses problèmes, l’être humain va trouver dans ce monde d’illusion un père céleste auprès de qui il trouve beaucoup de motivations. L’au delà  n’est qu’une invention des esclaves, des vaincus de la vie. Le mythe du salut de l’âme n’est qu’une vaine tentative de compensation du bien être corporel qui manque à l’homme. Nietzsche fait juste lorsqu’il qualifie cette morale ascétique d’hypocrite avant de se plonger lui-même dans une imagination naïve d’un surhomme, parce qu’ayant pris conscience de l’inéluctable destinée imparfaite de l’homme.

     L’accomplissement de l’homme s’il faut en parler ou s’en tenir ne relève tout au plus que de l’ordre du souhait.



 Pour l’accomplissement de l’homme (AYANGMA Bertrand)                                                

L’Homme : qui est-il ?

L’homme peut se définir, outre l’aspect anatomique et physiologique, issue d’une évolution de cellule cogamique du règne métazoaire, comme un être doté d’un corps et d’une âme. Toutefois, d’autres éléments d’une anthropologie lui sont attribués ou simplement relevés ; à savoir : un cœur, un esprit. Tous remplissant des fonctions sommes toutes importantes car en eux, il s’exprime tout entier en ses divers aspects. Si l’homme est âme, en tant que animé par l’esprit de vie, la chair quant à elle traduit sa finitude. L’esprit  qui le meut, est en lui traduction d’une ouverture de la connaissance et le rapport à autrui. Ce que le corps enfin exprime dans une intentionnalité au dehors.

Pour les anciens (Grecs), l’Homme se conçoit dans un cosmos comme élément de celui-ci. C'est-à-dire, un microcosme qui unit deux mondes : Spirituel et Matériel. L’on perçoit ici  deux orientations dans lesquelles l’homme est appelé à évoluer et par conséquent à s’affirmer. Pascal le définit comme un être pensant, ce par quoi il tient sa grandeur et son mérite parmi tous les êtres de la nature[2]. Quant à Benoît PRUCHE, au terme d’un essai sur l’ « homme de Sartre » conçoit l’homme comme étant « un néant pour soi qui s’apprend par ses actes  le néant de sa propre existence »[3]. C'est-à-dire un inconnu qui se découvre par ses actes et son agir. L’homme  est donc non seulement un être caractérisé par sa capacité à penser mais est aussi un être d’action et donc de mouvement car l’homme c’est ce qu’il se fait.

La pensée créationniste soutient que l’homme est une créature de Dieu. Un homme qui recevrait son identité de la part de cet autre être à lui supérieur et qui lui donne d’exister. Le bibliste dira l’homme, image et ressemblance de Dieu. Pour Paul Ricoeur, il est un sujet, « une réalité  hautement complexe et délibérément historique »[4]. Dans ce sens l’homme cesse d’être confiné à une nature définie ou à un monde clos, animalier. Sa dimension historique est alors pris en compte et par suite son évolution spatio-temporelle, avec pour principal acteur de cette histoire : ledit créateur, sa cause efficiente. Son épanouissement se trouve dans sa conformité à la volonté de cet Etre. Ce qui constitue sa cause finale.

 A ce propos l’on pourrait donc se poser la question à savoir : Que pourrait signifier le terme « accomplissement » dans son assertion le plus large?

Qu’est ce que l’accomplissement ?

D’une manière générale, l’accomplissement peut se concevoir comme la réalisation entière d’un  projet, d’une personne qui, partant d’un certain état parvient à un autre. Ce serait encore l’aboutissement d’un processus jadis entamé qui porté à son apogée se détermine dans le sens de la perfection. C’est encore l’achèvement de ce dont  on est de façon naturelle habileté à faire.  C’est faire ce qui nous est propre.                                                                    

Aristote pour sa part définit l’accomplissement comme le juste milieu entre la nature (corps) et la raison (esprit). En d’autres termes c’est une quête de l’équilibre entre les deux composantes de l’être.

L’accomplissement s’entrevoit aussi comme une autoréalisation. En ce sens Bergson désigne l’homme du terme de « fabricateur », soit d’outils pour lesquels il porte à manifestation son intelligence, soit encore l’homme lui-même. C’est ici qu’il utilise la formule « homo faber » qui selon lui se prépose respectivement à l’homme  qui pense et l’ « homo sapiens ».

Pour Emmanuel Lévinas, l’acte d’accomplissement ne saurait se concevoir en dehors d’un processus existentiel qui débouche au Bonheur. Car  pour lui « le bonheur est accomplissement »[5]. Il  perçoit cet accomplissement comme réalisation de l’homme toujours porté à un rapport avec autrui. Car pour lui l’homme accompli c’est un homme heureux. Comment donc l’être seul ?

 Sur un plan sociologique, D’après Sylvain Auroux in les notions Philosophiques, l’accomplissement désigne un type déterminé de statuts sociaux, un critère de valeurs susceptibles de guider l’action sociale. Ici ce processus est vu comme une forme de motivation face au besoin de parvenir à une position somme toute importante dans la société. Par statuts sociaux, il faut voir ceux qui requièrent des  qualités spéciales sans nécessairement s’y restreindre. Ces qualités faut-il le mentionner, ne sont pas forcement innées mais nécessairement accessible par l’effort individuel. Ainsi donc l’accomplissement  se voit  comme une option de valeur offerte aux choix de l’acteur. En ce sens Mc Clelland  dira que le besoin d’accomplissement constitue un trait essentiel de l’esprit d’entreprise et d’effort.

Comment l’homme s’accomplit-il ?

Pour répondre à cette question, situons le vécu humain sur les trois niveaux de relations qu’il entretient avec son entourage :

Ø  Sa relation à la nature,

Ø  Sa relation à ses semblables,

Ø  Sa relation à la transcendance, qui arbore particulièrement si non essentiellement l’aspect métaphysique de l’accomplissement de l’homme.

Pour André Bernard, l’homme bien accompli se présente sous le profil d’un être unique quant à sa « nature » et quant à sa «vocation ». C'est-à-dire la nature et la vocation sont des éléments caractéristiques de l’existence d’un homme. Ainsi l’homme en se détachant de l’animalité pour devenir une personne dans le processus de socialisation, se fait à la fois dominateur et maître du cosmos mais aussi parvient à s’auto réaliser comme un tout « rationnel ». C’est l’homo faber que nome Bergson, l’homme qui transforme la nature pour ses besoins et pour initier d’autres formes de vie. C’est sans doute à ce niveau que l’on pourrait percevoir la troisième métamorphose de l’homme de Nietzsche : ‘’l’homme enfant’’ un créateur  de choses nouvelles. C’est aussi l’image du génie de Max Scheler  qui est mis en exergue dans ce créateur car il s’accomplit par le travail (physique ou intellectuel). Par  ce travail, il donne un nouveau visage à la nature mais aussi à lui-même en tant que élément de cette nature. Cependant ses actions restent sujettes aux valeurs de sa société d’origine                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              . Ainsi penserons nous avec A. Bernard que l’homme est un être de nature dans sa dimension essentielle mais il est encore plus le fruit d’une culture grâce à son esprit capable de se mouvoir[6]. Ce qui nous permet de voir l’homme dans sa relation avec son entourage.

 L’homme dans la société est essentiellement en relation avec ses semblables. Le vivre en société, rendu plus harmonieux par le langage représentatif, objectif ou subjectif, permet de s’épanouir par l’apprentissage, l’éducation, la transmission dû à la culture, que l’on nome ligne de conduite, dont le rôle régalien est l’obtention d’un idéal d’homme. A. Bernard pense que l’amour est la source d’accomplissement des l’homme dans la société. Ceci particulièrement vécu dans une relation saine telle que le mariage. C’est un amour qui don de soi sans mesure. L’exemple de l’homme accompli ici est ‘’le Héro ‘’, ainsi que le pense Max Scheler. E. Lévinas quant à lui pense l’homme ne s’accomplit qu’en de venant lui-même entièrement, vivant et en se mettant en rapport[7]. Il dira pour cela que : « ce qu je fais et ce que je suis, est à la fois ce dont je vis. »[8] 

Dans sa relation à la transcendance, l’homme défini comme un vivant possède la faculté de penser, qui est selon Platon une application de l’intelligible ; lieu de tout paix et du bonheur car l’âme qui y parvient contemple la vérité. L’homme s’accomplirait donc dans cette dialectique ascendante où se détachant parvient à jouir de cette vérité. Il faut dire qu’ici l’homme n’est plus seulement un objet de la nature, ni un être seulement perfectible par la culture. Il existe un lieu dans lequel il est possible pour lui de s’accomplir : c’est la transcendance Selon la Scolastique l’esprit humain est ‘’capax Dei’’. C'est-à-dire que l’homme est capable de parvenir à la transcendance. Ceci visible sur deux points. D’une part au regard de la relation de supériorité que l’homme manifeste à l’égard des autres êtres de la nature. D’autre par la relation de l’homme avec ce que E. Lévinas nomme « l’Absolument autre » ou le « Tout autre ». Nous avons dit que l’esprit de l’homme est sa partie qui est toujours en mouvement et qui lui permet de se transcender lui-même. Dans cette perspective l’accomplissement de l’homme peut se réalise dans une sorte de dépassement de la matérialité pour un spirituel. Gobry à propos dira que : « l’essence de la personne est la spiritualité et tout esprit à un aspect personnel »[9].

Pour cela, il faut être libre. La liberté est d’après Gobry la faculté qui préside à l’activité spirituelle. L’homme devient vraiment une personne pense t-il le jour où il décide de ses actes au lieu de les subir. L’accomplissement  se voit aussi dans la responsabilité qui entraîne le respect d’un ordre. Et qui dit ordre fait référence à quelque chose de supérieur.

  

 En définitive nous dirons que l’accomplissement de l’homme, au-delà de tout approche, est effectif dans sa relation avec la transcendance surtout s’il réalise une relation d’ouverture et d’accueil avec cet être. Alors le plus accompli des hommes serait celui le plus proche de la transcendance. Donc,  ainsi  que le soutient  Marx Scheller, les êtres les plus accomplis sont le Saint, le Héros et le Génie. Car l’homme s’accomplit dans un processus de devenir semblable à  l’être qui est la source de son être. Sur le plan métaphysique, l’homme toujours s’accomplit.

 

 

 

 

 



 

[1]Jacques Maritain, Eléments de philosophie, Introduction à la philosophie, Paris, librairie Pierre Tequi, 1951, pp39-40.

[2] Pascal, Pensée, Edition Brunschvicg, n° 346.

[3] Benoît PRUCHE, L’homme de Sartre, ARTHAUD, France, 1949, P.128.

[4] Paul  RICOEUR, Le mal, Un défi à la philosophie et à la théologie, 3e  édition, Edition Labor et Fides, France, Août  2006, P. 14.  Cette définition de l’homme intervient dans l’optique d’une circonscription du concept du ‘’Mal’’. Mal qu’il situe pour sa part au cœur du « sujet humain », lequel selon lui reste soumis à la loi ou à la morale.

[5] Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, essai sur l’extériorité, Edition KLUWER ACADEMIC, 2008, P. 116.

[6] André Bernard, l’homme et son accomplissement, essai d’anthropologie philosophique avec prolongement                                     théologie, Edition Saint Paul, Kinshasa, 1998.

[7]E. Lévinas, Op. Cit. P.115

[8] Ibid. P 116.

[9] Gobry, La personne, PUF.